L’Etrangère

Il s’agit du deuxième livre de Valérie Toranian que je lis, et je dois dire que je craignais le pire. Ayant été assez déçue par ma première lecture, Une fille bien (Flammarion, 2018), j’étais plus que circonspecte à l’approche de celui-ci, publié trois ans plus tôt (aussi chez Flammarion). Le style de chaque auteur se forge au fil du temps, on est donc souvent très désagréablement surpris par les premiers livres de nos écrivains préférés… Cette réflexion ne jouait pas en la faveur de L’Etrangère, mais intéressée par la thématique, j’ai tout de même accordé une seconde chance à Valérie Toranian.

Dans ce livre, on fait la connaissance de la grand-mère Arménienne de l’auteure et on suit son parcours de vie dans une double temporalité. Valérie Toranian nous raconte d’un côté la vieille dame qui vivait dans l’appartement du dessus et était parfois source d’embarras quand elle était petite, et de l’autre, intercalé entre ces chapitres remplis de souvenirs d’enfance, se tisse l’histoire de la jeune Aravni. Quand on parle d’origines arméniennes, on évoque en sourdine le drame du génocide de 1915, la terreur des convois et des massacres qu’ont connus les ancêtres de ces Arméniens réfugiés à l’étranger pour survivre tant bien que mal quelque part. Ce livre, c’est le récit de ce souvenir douloureux qui se transmet de génération en génération, raconté à travers la vie de la jeune Aravni, présente au point de départ de cette bascule de l’histoire. 

Contre toute attente donc, j’ai aimé ce livre. Moins la partie souvenirs d’enfance que celle, plus difficile, sur la vie de la jeune Aravni, lorsqu’elle se trouve encore dans cette partie de l’actuelle Turquie où le peuple Arménien est pris pour cible et massacré. C’est justement le ton de la partie souvenirs d’enfance que je n’aime pas chez Valérie Toranian et qui m’avait déplu dans Une fille bien (d’autant que c’était en plus saupoudré de grande confusion, même pas particulièrement esthétique). En revanche, lorsque l’auteure dessine l’histoire qui fut celle de sa grand-mère, reconstituée grâce à de nombreuses anecdotes et témoignages glanés ça et là dans sa famille, c’est saisissant. A mi-chemin entre l’histoire vraie et le roman, puisqu’il faut bien remplir les vides laissés dans l’histoire et tisser une épaisseur à cette femme du passé. Pour la partie roman, c’est prenant. Pour ce qui est de la véritable histoire, c’est glaçant… On se retrouve avec Aravni dans les convois de la mort, entourés de femmes et de jeunes filles mourant de faim et de soif, achetées ou violées au fur et à mesure que le voyage se poursuit. Une horreur dont on entend assez peu parler.

Ce livre m’a fait penser à celui de Franz-Olivier Giesbert, La Cuisinière d’Himmler (voir l’article), avec son superbe personnage de Rose, dont le point de départ fut  pour elle aussi les massacres d’Arméniens en 1915. Cela n’est pas du tout anodin, puisque Franz-Olivier Giesbert n’est autre que l’époux de Valérie Toranian et a dû être grandement influencé par les origines de sa compagne. On retrouve d’ailleurs son livre dans les remerciements à la fin de L’Etrangère, la boucle est bouclée.

Avec une déception et une bonne surprise, je me demande maintenant à quoi ressemble le premier livre de Valerie Toranian, Pour en finir avec la femme (Grasset, 2004). Si contrairement à mon idée reçue la qualité des livres va à rebours du temps, je peux m’attendre au meilleur. Une question qui ne trouvera sa réponse que dans la lecture. En attendant, je conseille celle de L’Etrangère (et déconseille celle d’Une Fille bien…).


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