La cuisinière d’Himmler

Pour moi, Franz-Olivier Giesbert était principalement un monsieur à la coupe de cheveux en forme de crinière de lionceau qui apparaissait de temps à autres sur le plateau de l’émission On n’est pas couché et avait l’air plutôt gentil. Je savais qu’il était journaliste et qu’il avait bien dû écrire un livre ou deux pour justifier sa présence sur les plateaux télé, mais il restait pour moi un personnage public flou qu’on invite de temps en temps juste pour discuter avec lui. J’avais vaguement découvert qu’il était marié à Valérie Toranian, ancienne directrice de Elle, lorsque j’avais lu son livre Une fille bien (que je n’ai d’ailleurs pas spécialement aimé ni trouvé très bien écrit, des années de relations dans la presse doivent aider plus que le talent), mais ça s’arrêtait là. C’est seulement à la lecture d’un de ses livres que je découvre aujourd’hui que Franz-Olivier Giesbert est véritablement un écrivain. Il a d’ailleurs écrit presque une vingtaine de romans, et s’il dispose probablement d’autant de relations dans la presse que son épouse, il a en revanche beaucoup de talent.

Je viens d’achever la lecture de La cuisinière d’Himmler (paru en 2013), et je peux déjà ajouter cette lecture à la liste de mes livres préférés. C’est un excellent livre, à la fois riche et bien écrit, documenté et intéressant, parfois drôle et toujours intelligent. Le titre est prometteur et le roman nous amène beaucoup plus loin, au quatre coin du monde et de la vie d’une femme. C’est l’histoire de Rose, née Rouzane, une vieille femme de cent cinq ans qui décide de raconter son existence folle à travers un monde et un siècle encore plus fous. « Le siècle des assassins » comme il est dit dans le livre. Le siècle du génocide Arménien, de Staline, d’Hitler, de Mao. Si Rose est le personnage principal du livre, l’Histoire en est le second. Il ne s’agit pour autant pas d’un récit historique vaguement romancé, mais bien d’un roman qui retrace la vie d’un personnage de femme. 

L’histoire commence près de la mer Noire, où celle qui s’appelle encore Rouzane grandit paisiblement au sein de sa famille. Mais cette famille est Arménienne et l’Histoire s’en mêle avec une première catastrophe qui emporte presque tout un peuple à partir de 1915. Rouzane s’en sort une première fois, et c’est alors que débute véritablement sa vie. Les circonstances de ce premier drame en dessinent les contours : elle sera courageuse, en mouvement, solitaire parfois, tantôt heureuse et calme, ou terrible et agitée. Dès lors, l’existence de Rose sera une suite d’événements et de rencontres tour à tour merveilleuses et terribles. Elle dit à un moment : « j’ai toujours éprouvé une répugnance naturelle à ajouter ma plainte au grand pleurnichoir de l’humanité ». Il y aurait pourtant de quoi, mais Rose est un personnage fort et déterminé qui traverse les épreuves et nous emmène dans un tourbillon où les aventures, les voyages, les amours, les amants se succèdent. La mort aussi, et avec elle la vengeance, qui constitue pour Rose « la seule justice qui vaille » et « un bonheur dont il [lui] semble stupide de se priver ». Une philosophie qu’il est déconseillé d’appliquer à sa sauce mais qui s’explique dans son cas. Peut-être d’ailleurs le seul moyen de survivre et de pouvoir continuer à posséder sa propre vie dans cette succession de drames. Enfin, dernier sujet important du livre : la cuisine, qui voyage en même temps que Rose et la suit à travers toutes les étapes de sa vie. Franz-Olivier Giesbert nous fait même cadeau des recettes qui font apparemment un tabac dans le roman. A essayer. On tient souvent nos recettes d’une personne importante, avec qui on partage un peu de nos plats chaque fois qu’on les faits. Si ces recettes-là sont réussies, pourquoi ne pas amener un peu de cette nouvelle amie drôle et flamboyante dans nos vies.

A lire ! Pour le récit de ce XXe siècle à l’échelle d’une vie, ou pour le récit palpitant de la vie d’une femme pas comme les autres. On ne retient pas les cuisinières de l’Histoire, mais celle-ci vaut bien un roman. C’est inspirant, intéressant et parfois difficile. L’Histoire nous semble bien plus réelle ici que dans un livre d’école. Espérons maintenant que toutes les Rose du XXIe siècle n’auront pas à surmonter de telles épreuves.


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