Emily in Paris : scan-da-leux !

Pour qu’une série déchaîne internet à ce point, les journaux les plus sérieux comme les plus obscurs twittos, on s’attendrait à une thématique tendancieuse. Un truc violent, sexuel, qui parle de religions, d’identité ou de quelque chose de grave. Si vous n’avez pas (encore) regardé et avez échappé aux articles sanguinaires qui s’insèrent ça et là entre deux infos coronavirus, voici le pitch : Emily, une jeune américaine beaucoup trop souriante, débarque à Paris pour travailler dans une boîte de marketing. Elle habite près du Panthéon, a du mal a dérider sa très Française et très élégante supérieure et s’attire la sympathie de tas de gens en étant ultra efficace et optimiste pour trouver des solutions aux problèmes qu’elle rencontre. Elle adore la mode, aime aller prendre des cafés en terrasse et manger des croissants, et elle tombe sur des gars hyper beaux tous les épisodes. Scan-da-leux on vous dit. 

Cette nouvelle série Netflix a été imaginée par Darren Star, créateur bien connu de la très célèbre série Sex & the City (puis des films), et on n’est pas vraiment surpris. Comme Carrie, Emily nous sort une tenue différente et abracadabrante à chaque épisode, comme Carrie, Emily vit dans un petit appartement mais qui est en fait quand même grand parce qu’il faut que ça reste classe, et comme Carrie, Emily tombe chaque épisode ou presque sur un nouvel homme. Ah, et j’oubliais… comme Carrie, Emily rencontre des filles qui deviennent ses meilleures amies parisiennes et avec qui elle va prendre des cafés pour debriefer de chaque journée. La série pourrait même presque s’appeler Sex & Paris tellement un personnage sur deux aborde le sujet à tout bout de champ et peu importe le contexte. 

Une nouvelle série où tout est beau et où s’enchaînent de multiples dramas amoureux ou professionnels, donc. Un truc girly qui parle de mode, d’amitié, d’amour et de sexe (beaucoup). Et c’est donc là-dessus que tout le monde s’excite aujourd’hui, oui oui… Qu’est-ce qui est si grave à propos d’Emily in Paris ? Eh bien le crime est le suivant : la série serait apparemment remplie de… clichés. Wow ! On n’aurait jamais pu se douter… On s’offusque donc que la série soit caricaturale, qu’elle ne montre pas le vrai Paris puisqu’on ne voit pas les poubelles, les quartiers populaires ou la ligne 13 du métro (pas la plus belle ni la plus confortable, si vous ne connaissez pas), que les Français sont dépeints comme des gens méprisants, fumeurs et qui ne parlent que de sexe, et bla bla bla bla bla…

Ok, je comprends les critiques. Tous les Français ne sont pas snobs ou séducteurs, tout le monde n’est pas tiré à quatre épingle en permanence et aller chercher un croissant tous les matins avant de s’installer en terrasse est un peu cliché. La série tire un portrait un peu caricatural du Français sans offrir de réel contre-pied et ne montre que le beau Paris. Mais franchement, à quoi fallait-il s’attendre ? A voir une américaine en surpoids et mâchant du chewing-gum débarquer dans un bureau sombre rempli de gens mal fagotés, pour rencontrer ensuite des hommes pas terribles, passer son temps dans le métro et n’avoir aucun problème à devoir régler pour la mettre en valeur et occuper un peu le téléspectateur ? Evidemment que la série est caricaturale, évidemment qu’une série réalisée par des américains sur notre capitale dépeint le Paris fantasmé à l’étranger, évidemment que tout le monde y est  lisse et beau ! Dans toutes les séries du même genre tout est beaucoup trop beau pour être vrai et les personnages mènent un train de vie anormalement supérieur aux moyens qu’ils sont sensés avoir si on se réfère à leur job (et on les voit d’ailleurs assez peu souvent aller travailler pour gagner l’argent qu’ils passent leur temps à dépenser). C’est le but. Si on veut regarder une série réaliste et sérieuse, il faut regarder autre chose, et tout le monde le sait mais tout le monde semble le découvrir à nouveau devant Emily in Paris

L’impression que cela donne est que bien des gens étaient réfractaires à la série avant même d’en avoir vu le moindre bout de bande-annonce, simplement parce que des américains ont osé représenter Paris à leur manière. Les parisiens s’indignent de ne pas reconnaître totalement le Paris de leur quotidien juste parce que c’est leur ville et qu’ils savent mieux que tout le monde ce qu’est le VRAI Paris. Les mêmes semblent s’offusquer un peu moins de toutes les aberrations des autres séries tournées à New York ou ailleurs, parce que oui, c’est le principe même de ce type de série, et que quand ce n’est pas chez soi c’est moins grave. C’est vrai qu’Emily in Paris force le trait et donne une image des Français ou des parisiens qui ne colle pas à la réalité (encore que, pour être honnête, j’ai eu l’occasion de croiser des parisiens snobs et méprisants… plusieurs fois…), et oui, moi aussi, à de nombreux moments je me suis dit que c’était exagéré, mais est-ce si grave finalement ? Paris est une ville qui fait rêver le monde entier et attire des millions de personnes chaque année, et justement pour tout ça. Dans Sex & the City Carrie vient à Paris. Dans Le Diable s’habille en Prada Andréa vient à Paris… Emily serait en revanche à blâmer d’aller s’acheter des croissants tous les matins. J’ai des amies étrangères bien réelles qui ont elles aussi passé leur séjour à faire exactement la même chose, puisque c’est la vie parisienne qui fait rêver ailleurs (et que c’est vrai qu’on a de super croissants). C’est une fiction, et une fiction faite pour être plus belle que la réalité, faire rêver en faisant vivre une vie palpitante à des personnages élégants et lisses qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent (ou ratent avec le sourire et avec style). On le savait avant, et c’est exactement ce qu’est la série. Degré de surprise : zéro.

Personnellement, toutes les critiques faites sont dans l’ensemble précisément ce qui me donne envie de regarder une série comme ça. Une série qui montre les plus beaux endroits de Paris encore plus beaux qu’en vrai et des gens qui ont le dressing de mes rêves. Si je veux voir les côtés laids de la capitale je peux encore prendre le métro et y aller moi-même, et si je veux que les histoires soient moins romancées je peux m’en tenir à ma propre vie et à mes propres échecs quotidiens (ou lire Michel Houellebecq). Et surtout, si je veux une histoire profonde et sérieuse, eh bien je suis un peu maligne et je ne regarde pas une série comme ça… D’accord, c’est exagéré. Mais la série fait aussi la promotion de la beauté de Paris et du parisian way of life fantasmé à l’étranger. Une série simple, facile et positive. Peut-être pas de quoi en faire toute une histoire… Puisqu’on dit le Français râleur, il aurait peut-être fallu essayer de ne pas coller à ce cliché-là en surréagissant à ce point pour si peu, et si on trouve ce genre de série bête et superficiel (ce qui est parfaitement compréhensible), il faudrait peut-être regarder autre chose, au lieu de regarder celle-ci uniquement pour pouvoir la critiquer ensuite.


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