Pour beaucoup aujourd’hui, les affaires de religion et de messianité se résument à un Jésus aux cheveux longs qui termine son existence écourtée sur la croix. Ce pour avoir fait on ne sait trop quoi, qu’on ne sait trop qui n’a pas apprécié, il y a des centaines d’années / beaucoup trop longtemps. Le reste est souvent assez flou, à moins d’avoir étudié l’Histoire des différentes religions. De vieilles histoires vagues et peu crédibles qui n’ont plus rien à voir avec notre époque. Et pourtant…

Intéressant donc de découvrir de nouveaux récits très actuels qui traitent du sujet sous un angle différent (et avec l’attrait de la fiction). D’abord avec Eric-Emmanuel Schmitt, qui propose son Evangile selon Pilate. Un récit passionnant qui retrace l’existence de Jésus comme celle de n’importe quel personnage de roman. Sa vie avant, son cheminement, le commencement de l’histoire, les complications et la fin douloureuse. Et au travers de cette histoire, les questionnements, les doutes, la frustration d’être devenu une machine à miracles, l’incompréhension qu’une telle popularité laisse pourtant son message souvent inaudible… Un point de vue interne romancé par l’auteur, qui donne un tout autre aspect à l’histoire que l’on connaît. En seconde partie, la version de Ponce Pilate, cette fois. Pilate qui est pour le moins dubitatif et réfractaire à l’agitation qui secoue Jérusalem à l’arrivée de ce prétendu fils de Dieu. A la disparition du corps de Jésus, il se retrouve à mener l’enquête pour savoir ce qui s’est passé et trouver les responsables. Un autre point de vue sur l’histoire, lui aussi très romancé, avec des personnages pour incarner les différentes paroles et différentes croyances qui se télescopent et s’influencent.
Ce livre nous plonge dans une époque et des lieux qu’on connaît souvent peu. Il donne une épaisseur et une voix aux personnages, détournant certes des faits historiques et exprimant parfois l’avis personnel d’Eric-Emmanuel Schmitt, qui donne son interprétation de ce qui selon lui est la version la plus défendable (il s’en explique d’ailleurs dans la troisième partie du livre). C’est intéressant à lire, autant comme un simple roman qui déroule une histoire que comme une réflexion philosophique sur la religion. Une sorte d’introduction aux évangiles par le roman.
Une autre histoire de Messie avec la série bien nommée Messiah (créée par Michael Petroni et disponible sur Netflix). Cette fois, l’histoire se passe de nos jours, et il s’agit vraiment d’une histoire. Peut-être prémonitoire après tout, nul ne sait, mais pour le moment de fiction. Un jeune homme se prétendant le fils de Dieu apparaît au Moyen-Orient, où il réalise un premier miracle qui suscite intérêt et questionnement. On se rallie à lui, on lui emboite le pas, ou on met au contraire en doute sa parole et ses prétendus miracles, que certains considèrent comme des preuves irréfutables, d’autres comme les tours très réfutables d’un habile magicien. Le monde entier le suit du regard, à commencer par les Etats-Unis, que l’émergence de figures au Moyen-Orient inquiète. Idée intéressante d’ailleurs, de faire apparaître à nouveau ce Messie au Moyen-Orient. Une région sombre et trouble pour l’Occident, car habitée par différents groupes extrémistes que l’on a bien trop souvent tendance à confondre avec l’ensemble des Musulmans (qui pratiquent un Islam aussi pacifique que le Catholicisme du petit curé de campagne). Bethléem, Nazareth, Jérusalem se trouvent pourtant bien au Moyen-Orient, et le Christ (d’ailleurs très blanc et très Occidental) qui en vient et que l’on retrouve dans bien des églises ne fait pourtant pas planer ce spectre inquiétant… A méditer.

La série déroule le parcours de ce jeune Messie et des personnes qui gravitent autour de lui pour diverses raisons. On oscille entre évidence et remise en question. Chaque point de vue reflète la vision du monde des différents personnages (de par la culture, les croyances et les épreuves passées), et tous restent parfaitement argumentables. C’est la force de cette série : réussir à montrer des points de vue diamétralement opposés et pourtant chacun compréhensibles et crédibles. On voit d’un côté un jeune homme qui n’arrive pas à faire passer son message, pourtant de paix et d’amour, et de l’autre, ceux qui cherchent à empêcher un illuminé au dangereux dessein de faire trop de dégâts. Et chaque vision se défend sans que l’histoire ne tranche jamais trop sévèrement dans un sens ou dans l’autre. Sujet compliqué que celui de la foi, où personne ne peut avoir trop raison car la part de mystère reste toujours trop grande. Intéressant aussi le traitement contemporain de cette histoire. Les enjeux géopolitiques se mêlent et les médias et réseaux sociaux remplacent les commérages d’antan. Une figure actuelle du Christ, qui souffre de la même incompréhension (ou presque), avec les Etats-Unis dans le rôle de Rome et la difficulté de porter une parole d’espoir dans ce monde.
En bref, deux oeuvres intéressantes par le fond comme par la forme, qui soulèvent des questions et poussent à s’interroger. L’Histoire des religions est un vaste sujet (que je suis bien loin de maîtriser d’ailleurs) et le livre comme la série, par la fiction de leur récit, ouvrent une porte passionnante sur la question. Libre à chacun ensuite d’être pour, contre, intéressé, dubitatif, de vouloir creuser la question ou de n’y voir qu’un divertissement.