Ce mercredi 19 juin sort au cinéma Noureev, le Corbeau blanc, un film réalisé par Ralph Fiennes – acteur et réalisateur britannico-serbe, russophile et surtout connu pour son rôle de Voldemort dans la saga Harry Potter. Il signe ici son troisième long-métrage en tant que réalisateur et s’empare de l’histoire de l’incroyable danseur russe Rudolf Noureev.

Ralph Fiennes est l’un des rares grands noms du cinéma contemporain à s’intéresser de près à la culture russe. Il parle même la langue, comme il le démontre dans ce film en incarnant lui-même et sans doublage le rôle d’un professeur du jeune Noureev. C’est après avoir lu la biographie de l’artiste (Rudolf Noureev, une vie de Julie Kavanagh) qu’il décide d’écrire ce film. Il raconte l’année 1961, quand le ballet du Kirov vient à Paris danser sur la scène de l’Opéra Garnier pendant quelques semaines alors que la situation en URSS est des plus tendue et que chacun est surveillé de très près. Le jeune prodige de la danse a alors vingt-trois ans et n’en fait qu’à sa tête. Il est fougueux, impulsif, a mauvais caractère mais sait déjà qu’il a ce don unique qui le fera devenir célèbre. Chaque jour, pisté par les agents du KGB qui commencent à perdre patience et tentent de le faire rentrer dans le rang, Noureev s’élance dans les rues et les nuits parisiennes pour aller voir toutes les plus grandes oeuvres d’art et côtoyer les artistes et intellectuels français. C’est ainsi qu’il se lie d’amitié avec Clara Saint (incarnée par Adèle Exarchopoulos), une jeune femme qui fréquente les milieux huppés de la capitale.
Je n’ai pas lu cette biographie de Noureev, mais ça m’a rappelé le livre Danseur, de Colum McCann, qui est une version romancée de la vie de l’artiste. Dans le film comme dans ce livre on retrouve le leitmotiv du train. L’une des premières scènes du film est la naissance de Rudolf Noureev qui voit le jour en 1938 à bord d’un train. Une naissance en mouvement qui présageait peut-être de ce que serait sa vie agitée. Dans le livre, qui s’ouvre sur le récit de la guerre, il est question des trains qui passent chaque jour par la petite ville d’Oufa, parfois en s’arrêtant, parfois non, mais toujours avec un petit garçon perché sur la colline qui attend qu’un jour son père revienne. Dans le film, Noureev arpente les rues de Paris à la recherche d’une boutique qui pourra lui vendre un petit train électrique à ramener en Russie (et il veut le meilleur, quitte à faire une crise à la vendeuse… le Transsibérien, évidement). Si le film se concentre sur l’année 1961 à Paris, il y a de nombreux retours en arrière qui nous font suivre l’évolution du danseur en Russie avant qu’il n’intègre le Kirov et se retrouve à l’Ouest. Il y a notamment des scènes magnifiques sur l’enfance du jeune Rudi avec une atmosphère presque noire et bleue et des paysages couverts de neige. Fiennes raconte aussi le moment où Noureev est rappelé en Russie alors que toute la troupe du Kirov doit partir pour Londres. Il sait alors que s’il rentre, il est fini, et bien sûr choisit la liberté. A tout prix.
Rudolf Noureev Sergeï Polunin
Dans le film, c’est le danseur ukrainien Oleg Ivenko qui joue Noureev. Un choix un peu surprenant pour incarner le danseur, car s’il lui ressemble par les traits, il est loin de dégager ce fameux charme tatare et un peu sauvage qui rendait Noureev si particulier. Dans les scènes jouées, Ivenko exprime brillamment le caractère sanguin de Noureev, mais sur scène c’est un peu moins convaincant (et pas qu’Oleg Ivenko soit mauvais danseur, loin de là !). Dans des scènes de représentation au Palais Garnier, il est amusant de voir Ivenko interpréter Noureev qui interprète un rôle de ballet. Ça a dû être une recherche intéressante. Mais si on ne retrouve pas cette force animale et féline qui caractérisait la danse de Noureev, comment en vouloir au jeune danseur ? Si Noureev était si incroyable c’est bien parce qu’il avait ce don si rare et si inimitable. Sa façon de danser n’était pas la plus technique et la plus parfaite, mais il était indéniable. Dans une scène du film, le réalisateur fait d’ailleurs dire à Pierre Lacotte (joué par Raphaël Personnaz) que le jeune Noureev manque cruellement de technique et fait parfois des erreurs, mais qu’il incarne la vérité de la danse, qu’il brille sur scène et que ce n’est pas la perfection du mouvement qui importe. Plutôt la perfection de l’âme du danseur. On retrouve aussi parmi les danseurs du Kirov Sergeï Polunin, qui incarne Yuri Soloviev à l’écran. Celui qu’on appelle parfois le bad boy du ballet pour son comportement imprévisible et ses tatouages impressionnants s’est fait connaître du grand public pour son interprétation de la chanson Take me to Chruch de Hozier, filmée par David LaChapelle. Peut-être un clin d’oeil du réalisateur, car si Polunin est Ukrainien et a un style de danse différent de celui de Noureev en son temps, il a assurément lui aussi un tempérament flamboyant qui fait parler de lui.