La Femme de mon frère…

« Danser, jamais ! Mourir peut-être mais danser, non ! », ou un bon résumé de l’état d’esprit dans lequel se trouve Sophia tout le long du film. Elle vient de faire dix ans d’études brillantes pour se voir refuser un poste à l’université, travaille en attendant comme guide de musée pour finalement se faire virer, et habite chez son frère le temps de trouver un sens à sa vie. Elle est aussi tombée enceinte par accident et va se faire avorter au début du film, accompagnée par son frère… qui drague la belle médecin… puis finalement sort avec la belle médecin qui a avorté sa soeur. Elle est parfaite, trop parfaite, trop lisse, trop blonde, ce qui aggrave dangereusement la crise existentielle déjà assez violente de Sophia. Et pourtant le frère est psy.

C’est un magnifique film, tant par l’histoire que par son esthétique très particulière, surtout grâce à la thématique de couleurs très recherchée. On retrouve du bleu et du rose dans la plupart des scènes, que ce soit le décor en arrière-plan, les objets ou même les vêtements (il n’y a qu’à regarder l’affiche). Quand ils se rendent chez leurs parents dont la maison est d’un beau bleu sombre, le frère porte un manteau bleu et Sophia un manteau rose. Chez lui aussi tout est bleu : les murs, les tableaux, l’oreiller, les serviettes de bain… Sans pour autant faire un effet color-block agressif. Ce sont plutôt des touches de bleu un peu partout, soit de manière vraiment prédominante, soit comme un petit rappel de couleur discret. Une dominance de bleu avec régulièrement un peu de rose. La scène la plus marquante est celle du générique : Sophia sort de l’université et un vent violent emporte son paquet de feuilles bleues et roses, qui se mettent à voler pendant de longues minutes pendant qu’elle tente de les ramasser. C’est très beau et très visuel… et très cliché aussi. C’est un film fondamentalement basé, certes sur une histoire de crise existentielle et une histoire de famille, mais avant tout sur la relation frère-soeur et homme-femme. Pas sûr que la fille en rose et le garçon en bleu plairaient à Najat Vallaud-Belkacem et son ABCD de l’égalité (visant à lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre), mais on voit bien l’idée et pour une oeuvre cinématographique pourquoi pas, puisque c’est très beau. Il y a aussi des scènes où c’est la couleur orange qui revient, principalement des moments gênants et négatifs, comme cette scène de dîner en famille qui tourne mal très réussie, ou ce magnifique (magnifique !) premier plan du film : un amphithéâtre aux sièges oranges, une femme brune vêtue de noir, une bande rouge, un rouge à lèvres rouge, un vernis à ongles rouge. Waouh… J’aimerais avoir la force esthétique de cette femme et de son arrière-plan à chaque moment de ma vie (même si ça demande probablement beaucoup d’organisation de coller en permanence au décor). Il y a enfin des scènes à l’atmosphère verte, qui sont surtout des moments positifs ou des perspectives d’avenir. 

Ce film est magnifique, très intelligent, très drôle aussi (il y a des répliques absolument géniales du début à la fin) et les acteurs sont excellents… mais j’ai une petite réserve tout de même. Au-delà du fait qu’à chaque fois que je vois un film québécois mon cerveau se met à parler avec l’accent pendant des heures, ça m’a surtout énormément rappelé les premiers films de Xavier Dolan. Comme j’ai une passion secrète pas si secrète pour Xavier Dolan et en particulier ses premiers films, c’est plutôt une bonne chose. Mais c’est quand même saisissant… Et d’autant plus que la réalisatrice, Monia Chokri, connaît bien Xavier Dolan pour avoir joué dans deux de ses films (Les Amours imaginaires et Laurence Anyaways). Justement les deux films dont le style ressemble le plus à ce qu’à fait ici Monia Chokri. Les couleurs, l’importance de la musique, les plans recherchés et très esthétiques, des plans fixes très courts sur des objets ou des couleurs, le focus sur la famille et les relations, les scènes de fête… La scène des feuilles qui volent dont je parlais un peu plus haut, pour magnifique qu’elle soit, m’a par exemple fait penser à la scène de Laurence Anyways où Laurence et Fred marchent sur l’Ile au Noir sous une pluie de vêtements qui tombent du ciel. Ça se corse encore quand on voit qu’Anne-Elisabeth Bossé, qui incarne Sophia, a aussi joué dans deux films de Xavier Dolan… Les Amours imaginaires et Laurence Anyways, encore. Niels Schneider, qui joue ici un petit rôle de jeune beau gosse qui croise la route de Sophia le temps d’une soirée, est un des principaux acteurs des films J’ai tué ma mère et Les Amours imaginaires de Xavier Dolan. A noter que Les Amours imaginaires est l’histoire d’un triangle amoureux dont les protagonistes sont : Xavier Dolan, Niels Schneider et Monia Chokri… Ça ne s’invente pas. Monia Chokri qui a aussi la même productrice que Xavier Dolan pour ce film, Nancy Grant. Le nombre hallucinant de répétitions faites dans ce paragraphe est assez représentatif… En exagérant un peu (même plutôt franchement), on pourrait presque dire que c’est un film de Xavier Dolan réalisé par Monia Chokri. Même si Xavier Dolan lui-même aime bien faire des clins d’oeil cinématographiques dans ses films, là c’est un peu chargé.

Mais peu importe au final. Malgré cette réserve qui sonnerait presque comme un compliment, j’ai beaucoup aimé ce film. De la poésie à l’écran avec une histoire pourtant très ancrée dans le réel et des personnages qui ne font pas (ou pas tous) semblant d’être beaux et gentils. C’est un travail très impressionnant et très intelligent, surtout pour un premier long-métrage ! C’est intelligent, intéressant, extrêmement drôle, riche et varié, poétique, esthétique, beau, léger et sérieux à la fois, bien joué… La Femme de mon frère mettra d’accord ceux qui veulent aller voir un film d’auteur et ceux qui veulent aller voir une comédie. A aller voir !

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Sortie : 26 juin 2019

Réalisatrice : Monia Chokri

Avec : Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon et Evelyne Brochu.


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